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Michaël FERRIER

INÉDIT

ILS SONT DEBOUT !

Petits portraits

de 5 artistes contemporains

africains

       Les cinq petits portraits ici publiés ne sont que des aperçus : griffonnés à la sortie d'une exposition rassemblant les œuvres permanentes de la collection d'art contemporain africain du Musée d'art de Setagaya (7 avril - 3 novembre 2018), ils ne prétendent pas rendre compte de la variété de ces œuvres ni de leur extraordinaire pouvoir d'évocation, mais constituent un témoignage sur la présence de l'art africain au Japon. Même minime, même partielle, même précaire, cette présence me semble faire signe : vers l'universalité et la modernité de ces artistes d'une part, vers l'ouverture et l'extraordinaire puissance de dialogue du Japon d'autre part. On lira par ailleurs (ici) une brève présentation des relations que l'archipel japonais entretient avec le continent africain. Les textes ici réunis constituent une invitation à regarder de près ces artistes souvent réduits à des porte-paroles de leurs traditions, mais qui sont surtout, appuyés sur la formidable diversité de leur continent, les créateurs sans frontières de quelques-unes des œuvres les plus magistrales du monde de l'art contemporain.

Michaël Ferrier 

Petit portrait numéro 2

Les Migrants d'El Anatsui

El Anatsui at the Museum of Contemporary Art San Diego. Photo Nancee E. Lewis.

El Anatsui, Photo : ©Nancee E. Lewis

Source : The San Diego Union Tribune

       El Anatsui. Après Ablade Glover, encore un Ghanéen. Ce n'est sans doute pas le hasard. Je ne sais pas à quoi c'est dû précisément : parce qu'il s'agit d'un pays anglophone, avec la moitié des habitants en zone urbaine, et qui vient de s'affranchir de la tutelle du FMI pour l'économie ?... Tout ça doit jouer pour la naissance d'un marché de l'art assez puissant pour soutenir ses artistes (ce que manifestement la France n'arrive plus à – ou ne veut même plus – faire pour les artistes francophones).


       De plus, El Anatsui travaille au Nigéria, autre pays anglophone, qui a l'air époustouflant : il y a une diaspora ici à Tokyo, surtout visible du côté du Kabuki-cho, et j'ai rencontré en mars 2018 un artiste nigérian à la magnifique Fondation Camargo (Cassis), Chibuike Uzoma, un jeune homme très talentueux (né en 1992) qui sait déjà parfaitement ce qu'il veut. 

 

       El Anatsui est encore plus connu que Glover (il a reçu le Lion d'Or de la Biennale de Venise en 2015) et c'est, dit-on, « l'artiste le plus cher d'Afrique » (à ce genre de formule, et contrairement à ceux qui prétendent qu’elle n’est jamais entrée dans l’Histoire, vous sentez que l’Afrique est déjà rentrée dans le XXIe siècle en tout cas, pour le meilleur comme pour le pire). C'est le titre un peu tape-à-l'œil d'un bon article du Monde sur lui, où on devine qu'il a la langue bien pendue et une sacrée personnalité : 

Le Monde, El Anatsui, Roxana Azimi, 2015

Le Monde, El Anatsui, par Roxana Azimi,

13 avril 2015

       Ce sont surtout ses tentures métalliques et ses tapisseries qui ont rendu El Anatsui célèbre. Il est vrai qu’elles sont impressionnantes, s’élevant comme des falaises ou tombant comme des cascades.

El Anatsui, 2016_Marrakech_Biennale.

El Anatsui, Biennale de Marrakech, 2016

Source : artsy.net

       Mais ce n’est pas ce que je préfère de lui. Pour ma part, je suis tombé en arrêt devant une de ses installations : un dispositif très simple et très subtil à la fois, une série de formes en bois disposées sur une dizaine de mètres de large, par terre, à hauteur d’homme, face au spectateur. En approchant, on s'aperçoit que ces formes, ce sont des pilons, des pilons de bois avec leurs mortiers, de ceux avec lesquels on pile le mil en Afrique (ou d'autres céréales ou épices : poivre, sorgho, mais surtout le mil). Tous ces pilons représentent ici des migrants et, effectivement, on devine tout de suite les formes anthropomorphes, le mortier qui est comme un tronc humain (c'est à l'origine un tronc d'arbre) et le pilon comme deux bras étendus, tous ces pilons humains étendus maintenant comme sur une grève, une plage, en partance, en souffrance : certains sont toujours debout, d'autres sont couchés ou même déjà morts, pilonnés, échoués. C'est très simple et, dès qu’on a fait le lien entre ces bouts de bois – littéralement des épaves – et les migrants, très émouvant.

El_Anatsui,_Les_Migrants,_installation_Tokyo,_2018,_photo_Michaël_Ferrier

El Anatsui, Les Migrants, Musée d'art de Setagaya, Tokyo, 2018

Photo ©Michaël Ferrier

       Dans Mémoires d'outre-mer, j'ai parlé de « la condition frontalière de tout être humain » (thème que j’ai repris, sur un plan plus théorique cette fois, dans "The Coral Writers", une conférence que j'ai faite aux Etats-Unis et qui est désormais disponible en français et en anglais - voir ci-dessous). Si je devais y adjoindre une image, ce serait cette œuvre magistrale d'El Anatsui. On peut sans doute dire d’El Anatsui qu’il est « l’artiste le plus cher d’Afrique », dans un de ces raccourcis comme notre monde en propose aujourd’hui : mais il sait surtout (re)garder – et faire voir – dans son art la réalité et la beauté des êtres humains les plus misérables, d’Afrique et d’ailleurs – et c’est ainsi qu’El Anatsui est grand.

El Anatsui_Awakened_frieze

 Michaël FERRIER    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

©2021 by Michaël Ferrier/Tokyo Time Table

Référence électronique :

https://www.tokyo-time-table.com/el-anatsui-art-africain-japon-migrations

Contemporary French & Francophone Studies, Volume 21, Issue 1, 2017

       « France-Japan: The Coral Writers (From stereotype to prototype, in favor of rethinking a critical approach to Japan) », translation by Richard Philcox, Contemporary French & Francophone Studies, Volume 21, 2017 - Issue 1: France-Asia. Editors: Roger Célestin and Eliane DalMolin. Guest Co-Editors: William Cloonan, Feng Lan, Laura Lee, and Martin Munro.

Réceptions de la culture japonaise en France depuis 1945, Paris-Tokyo-Paris

       « Les écrivains du corail - ou d'une nouvelle arborescence - possible et souhaitable - dans la réception de la culture japonaise contemporaine », introduction au livre Réceptions de la culture japonaise en France depuis 1945, Paris-Tokyo-Paris : détours par le Japon, Paris, Éd. Honoré Champion, p. 12-24.

= AUTRES PetitS portraitS D'ARTISTES AFRICAINS =

ABDOULAYE KONATÉ : BIENTÔT DISPONIBLE
ISSA SAMB : BIENTÔT DISPONIBLE
MOUSTAPHA DIMÉ : BIENTÔT DISPONIBLE
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