Jacques PEZEU-MASSABUAU
(1930-2024)
ジャーク・プズー=マサビュオ
BASHÔ,
Le Voyage d'Hiver

Jacques Pezeu-Massabuau
Jacques Pezeu-Massabuau n'était pas seulement un superbe géographe, un historien de l'architecture remarquable et l'un des meilleurs connaisseurs de l'urbanisme japonais. C'était aussi un grand lecteur, un traducteur avisé et un passionné de photographie, un art auquel il s'est adonné avec bonheur.
Les photographies et les traductions que vous allez voir sont extraites d'un livre rare, Le Voyage d'Hiver, trente-six haïkaï de Matsuo Bashô, publié à quelques exemplaires, sans indication de lieu ni de date, en 2007 à Tokyo. Comme son titre l'indique, il consiste en une sélection de haïkus de Bashô (1644-1694) consacrés à l'hiver. Jacques Pezeu-Massabuau en a lui-même supervisé la traduction, menée, comme il s'en explique ci-dessous, à partir de plusieurs emprunts à des traducteurs antérieurs, en particulier René Sieffert, auquel il a toujours voué une admiration particulière.
Connu pour ses études sur La maison japonaise, à laquelle il consacra une thèse magistrale (1973, publiée en 1981 aux Publications orientalistes de France), Jacques Pezeu-Massabuau n'en a jamais pour autant délaissé la littérature : en témoignent les quatre volumes qu'il a consacrés à l’œuvre de Jules Verne : Jules Verne et ses héros : une leçon d'abîmes (2011), Jules Verne : un art d'habiter la Terre (2013), Jules Verne : Les voix et les voies de l'aventure (2013) Jules Verne, de la fable à la fiction : une anamorphose du réel (2015), tous publiés chez L'Harmattan. En témoignent également ses recherches sur Bashô, dont il suivit très tôt les traces et qui le poursuivit longtemps. Mais toutes les formes d'art retenaient sa curiosité, notamment le musique (le titre Le Voyage d'Hiver est évidemment un clin d’œil au Winterreise de Schubert) et la photographie, dont il donne ici de merveilleux exemples.
Esprit libre, mobile, joueur, doté d'une belle érudition mais aussi d'un grand sens de l'humour, Jacques Pezeu-Massabuau est allé rejoindre Bashô par une nuit d'hiver 2024 :
Désolation hivernale -
dans ce monde monochrome
le bruit du vent
Michaël FERRIER

Ma rencontre avec Matsuo Bashô (1644-1694) date de mon arrivée au Japon en 1960. Cette année-là, je parcourus une grande partie de l'itinéraire de Oku no hosomichi (La Sente étroite du bout du monde), narration lyrique du voyage de 2300 kilomètres que le poète effectua de mars à août 1689 dans le nord du pays. Ce récit poétique m'enchanta tout de suite, grâce à l'élégante traduction française de René Sieffert ; mais l'idée d'en apparier les soixante-cinq haikai à des photographies ne me vint que quarante ans après et cette tâche demeure inachevée.
Les images que je présente ici illustrent des poèmes que Bashô écrivit à d'autres moments de l'année – entre la fin de l'automne et l'arrivée du printemps. L'union de chacune d'elles et d'un haikai est le fruit de constants réajustements, parfois surgissant d'un poème qui "allait" avec une photographie réussie, et tantôt d'une image où je retrouvais des vers qui m'avaient séduit. Leur association est ainsi purement personnelle et, de surcroît, n'exprime que le regard d'un étranger – à ce peuple et à sa culture. Je remercie de ne pas l'oublier tous ceux qui voudront bien y jeter un regard.
Ces trente-six photographies ont été prises au cours d'une période de quarante-trois ans, de l'automne 1963 à janvier 2006. J'ai mis à profit, et parfois modifié, diverses traductions, la plus parfaite demeurant celle de René Sieffert.
この道や
行く人なしに
秋の暮
Ce chemin
personne n'y passe
soir d'automne


百年の
氣色を庭の
落葉かな
On dirait
qu'il a cent ans ce jardin
tant de feuilles mortes

この秋は
何で年よる
雲に鳥
Pourquoi donc cet automne
dois-je ainsi vieillir....
oiseau dans la nue

枯朶に
烏のとまりけり
秋の暮
Sur la branche morte
un corbeau se tient perché
automne à la brune

ふる里や
臍の緒に泣く
年の暮
Ah pays natal
je pleure sur mon berceau -
une année s'achève

秋深き
隣は何を
する人ぞ
Arrière-saison -
...et mon voisin
que peut-il bien faire ?

野ざらしを
心に風の
沁 身哉
Usé par le temps -
mon coeur le sait et le vent
transperce mon corps

旅人と
我名呼ばれん
初しぐれ
Voyageur sera
je le souhaite mon nom
première averse hivernale

はつゆきや
幸庵に
まかりある
Première neige -
oh joie, de ma hutte
je peux la voir !
初雪や
水仙の葉の
たわむまで

Première neige
les feuilles des narcisses
se courbent à peine

はつゆきや
幸庵に
まかりある
Celle que tous deux nous vîmes cette année est-ce la même
la neige qui tombe
冬籠り
またよりそはん
此はしら

Par l'hiver reclus
m'appuierai encore
contre ce pilier

きみ火をた
けよき物見せん
雪まるげ
Ami allume le feu
tu vas voir une belle chose
une boule de neige !

元日や
思へば淋し
秋の暮
C'est le Nouvel An –
mais quelle mélancolie quand je songe
aux automnes finissants !
