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LE GOÛT DE

TOKYO

 

ANTHOLOGIE

 

Mercure de France, 2008

Le Goût de Tokyo, Mercure de France, réédition 2017

Le Goût de Tokyo,

Mercure de France,

réédition 2017

Le Goût de Tokyo, édition originale, Mercure de France, 2008

Le Goût de Tokyo,

édition originale,

Mercure de France, 2008

 TABLE DES MATIÈRES 

Introduction

Michaël Ferrier

PROLOGUE

 

Dazai Osamu : L’appel de Tokyo

 

CARTOGRAPHIES

HUIT TABLEAUX DE TOKYO

 

1. Nicolas Bouvier : Est-ce une (belle) ville ?

2. Natsume Sôseki : La liberté de penser

3. Abdürrechid Ibrahim : Une publicité omniprésente

4. Philippe Pons : Capitale de la mode

5. Philippe Pelletier : Transit par le monde marchand

6. Pierre Loti : Un coin de vieux Japon

7. Louis Danvers, Charles Tatum : Un patchwork insensé

8. Maryse Condé : Pachydermique, pléthorique et magique

 

REVERS DE LA VILLE

 

9. Paul Claudel : Le Cyclope endormi

10. Fujiwara Tomomi : Une cité aseptisée

11. Marguerite Yourcenar : Stéréotypes

12. Livio Sacchi : Shopping et fashion victims

13.Sano Shinnichi, Suzuki Shôji : L’Empire du déchet

14. Nishimura Kyôtarô : Petits crimes japonais

15. François Laut : Les camions noirs de la haine

16. David-Antoine Malinas : Sans-abri et hommes-boîtes

17. Iwao Sumiko : Une capitale contestée

18. Murakami Ryû : L’Apocalypse selon Tokyo

 

LA VILLE-POÈME

 

19. Tanizaki Junichirô : Exercices de disparition

20. Nicolas Bouvier : Des villages oubliés dans la ville

21. Shôzô Baba : Une architecture précaire et imprévisible : pour un urbanisme-renga

22. Roland Barthes : Marcher, voir, écrire

23. Philippe Forest : Rire, boire et danser

24. Richard Brautigan : Trois haïkus insolites pour visiteur déjanté

25. François Laut : Love-Hotels

26. Natsume Sôseki : Goûter à la perfection des choses

27. Maurice Pinguet : Éloge de la circulation

28. Claude Lévi-Strauss : Liberté de Tokyo

29. Chris Marker : Un goût d’éternité

 

Libération

Il y a comme du mercure dans ce recueil de textes finement ciselé et commenté, entre sociologie, littérature, journalisme ou ethnocentrisme. Dans un carambolage de styles, ce Goût de Tokyo explore les secrets de la mégalopole ultramoderne, aux rues sans nom, privée de plan d’urbanisme, déconstruite, toujours debout et bouillonnante.

 

Michel Temman,

Libération, 15 janvier 2009

       Le Goût de Tokyo  est un livre de commande, conçu à la demande d'Isabelle Gallimard pour s'insérer dans la collection "Le Goût de..." du Mercure de France. Comme tel, il est soumis à des impératifs de taille et de format (128 pages, textes courts) ainsi qu'à d'autres contraintes éditoriales (droits d'auteurs par exemple, dont l'enveloppe n'est pas infinie, ce qui implique d'utiliser un certain nombre de textes passés dans le domaine public) et, enfin, à un genre qui a ses règles spécifiques : l'anthologie.

 

       Pourtant, il ne serait pas faux de dire que Le Goût de Tokyo est aussi construit comme un mini-opéra, avec un prologue-ouverture (le narrateur déplie une carte de Tokyo et y expose la situation initiale), puis trois parties empruntant à l'art du récit musical (décors et costumes, entrée des personnages, péripéties, récitatifs, passages orchestraux, arias...). Ces 30 chapitres kaléidoscopiques, enchâssés dans une succession de scènes, constituent ainsi un itinéraire poétique « donnant à la ville son cachet coloré et toute une palette sonore ».

 

       On trouvera ci-dessous l'introduction du livre ainsi qu'une brève présentation de quelques-uns des auteurs retenus. Certains de ces auteurs (dont le nom figure en rouge dans la Table des matières ci-dessus) ont droit - ou auront droit bientôt - à une page spéciale. 

Tokyo juste après la Seconde GM (1946) par l’armée américaine ©Collection of Geospatial Information Authority of Japan

Double phénix, ville détruite deux fois (en 1923, par le grand tremblement de terre du Kantô, et en 1945 par les bombardements), et deux fois renaissant de ses cendres, Tokyo prolifère au gré d’un « urbanisme par pièces ». Elle progresse par touches, par îlots, par plis et par reprises. Sans plan d’ensemble, sans projet globalisant. Cet « urbanisme par pièces » est aussi un urbanisme en pièces : on ne sait plus s’il convient de lui laisser le nom de ville. Dynamique et déstabilisante, tour à tour cataloguée comme une « ville globale » ou une « ville-amibe », « ville numérique » plutôt que cité historique, « espace liquide » plus qu’espace physique : les appellations se multiplient, comme si le langage lui-même était parti à la poursuite de Tokyo. C’est un nouveau paradigme, une forme symbolique inédite dans la phénoménologie urbaine du XXIe siècle... à laquelle on ne sait pas donner de nom.

Michaël Ferrier, Le Goût de Tokyo,

Mercure de France, 2008

Tokyo juste après la Seconde GM (1946) par l’armée américaine ©Collection of Geospatial Information Authority of Japan

INTRODUCTION

       Nous sommes le 13 septembre 1868. Le Japon est en ébullition. Ce jour-là, Edo prend le nom de Tokyo, ou « capitale de l’Est ». Le transfert de la capitale, de Kyoto à Edo, et le changement d’Edo en Tokyo marquent le début d’une période de profonds bouleversements urbains : des ponts sont édifiés, certaines portes de la ville sont restaurées, les rues sont élargies. Surtout, la métamorphose s’accompagne d’une remise en question profonde des habitudes de pensée et des modes de vie : bientôt, on frappe de nouvelles monnaies, les citoyens prennent un nom de famille (privilège jusque-là réservé aux nobles), la ville est ouverte aux étrangers pour la résidence et le commerce. On décrète l’affranchissement des eta, ces castes de parias travaillant au contact des peaux et des cadavres, tanneurs, bouchers, croque-morts... Le régime féodal est aboli, au moins en théorie. Les jeunes femmes portent des vêtements à l’européenne, les hommes se laissent pousser la moustache. Le billard et la danse font leur apparition, avec les dictionnaires de langues. Entrez dans la valse ! On va au théâtre, partout la publicité se déploie et poudroie, donnant à la ville son cachet coloré et toute une palette sonore. Même si les us et le tracé de l’ancienne ville d’Edo ne disparaissent pas complètement et continuent d’irriguer la nouvelle capitale [1], la naissance de Tokyo s’inscrit dans le mouvement de ces mutations radicales de l’ère Meiji, dont elle est à la fois un signe fort et un des vecteurs les plus puissants.

       Un événement en dit long sur l’importance de la ville. Le 29 octobre, l’Empereur quitte Kyôto pour se rendre à Tokyo dans un grand palanquin en bois de paulownia blanc. Il est accompagné d’un millier de soldats, de tambours et de fifres : c’est la stupéfaction générale. Le monarque, intouchable et invisible, perpétuant une lignée ininterrompue descendant de la Déesse du Soleil, serait-il descendu du ciel ? Il arrivera à Tokyo le 27 novembre, vers 10 heures du matin. Un silence impressionnant accompagne, dit-on, cette visite du fils des dieux venu rendre hommage à une ville.

       La révolution est particulièrement sensible dans les transports. Un des principaux obstacles au développement d’Edo était en effet la lenteur dans le transfert des biens et des personnes, charriés à dos d’hommes et d’animaux. Avec Tokyo apparaissent de nouvelles techniques, axées sur la vitesse et la souplesse, la fluidité, comme les fameux rickshaws, ces voitures légères à deux roues tirées par des coureurs aux torses nus et tatoués. Suivront les premières lignes de télégraphe (1870) et de chemin de fer (1872), les bateaux à vapeur et à roue qui essaiment sur la Sumida, et toutes sortes de véhicules variés : bicyclettes, omnibus de fabrication anglaise tirés par quatre chevaux, tramways, taxis, voitures, métro... jusqu’aux trains du futur, les Maglev à lévitation magnétique d’ores et déjà à l’étude dans les laboratoires de la ville. Dès le début, Tokyo enflamme, transporte, électrise : c’est une ville qui naît dans et par le transport, le renouvellement, le déplacement.

 

 

 

       Ainsi se propage une ville de circonstance, un paysage de transition, tout en virages et en voltes, éclectique et désinvolte, sans vision axiale. Tout part dans tous les sens, les vélos vous frôlent, le trottoir devient route... Pas grave. Une certaine conception dramatique de la ville s’y trouve perdue, éparpillée dans une multitude de flèches urbaines, qui sont comme les feux follets du lieu. Y naissent en revanche un comique de situations, un humour poétique et mathématique, une fantaisie sensible dès les premiers pas [2].

 

       Comment s’étonner dès lors de cette croissance ininterrompue, entraînant tout sur son passage ? Double phénix, ville détruite deux fois (en 1923, par le grand tremblement de terre du Kantô, et en 1945 par les bombardements), et deux fois renaissant de ses cendres, Tokyo prolifère au gré d’un « urbanisme par pièces » [3]. Elle progresse par touches, par îlots, par plis et par reprises. Sans plan d’ensemble, sans projet globalisant. Cet « urbanisme par pièces » est aussi un urbanisme en pièces : on ne sait plus s’il convient de lui laisser le nom de ville. Dynamique et déstabilisante, tour à tour cataloguée comme une « ville globale » [4] ou une « ville-amibe » [5], « ville numérique » plutôt que cité historique, « espace liquide » plus qu’espace physique [6] : les appellations se multiplient, comme si le langage lui-même était parti à la poursuite de Tokyo. C’est un nouveau paradigme, une forme symbolique inédite dans la phénoménologie urbaine du XXIe siècle... à laquelle on ne sait pas donner de nom.

 

       En ce sens, Tokyo impressionne moins par son gigantisme que par la nature même des processus qui y sont en jeu, et les nouvelles catégories d’action mentale qu’elle permet de susciter. Polycentrique, piquante et poignante, toute en revers et en bifurcations, c’est une espèce d’espace où, comme le dit Abe Kôbô : « Même si vous vous fourvoyez, vous ne pouvez pas faire fausse route [7]. » Ville-embuscade, ville-surprise, entre l’embarras et l’étonnement : vous y trouverez ce que vous cherchez et, plus sûrement encore, ce que vous n’y cherchiez pas.

 

 

Paravent de Kyosai Kiyomitsu : le château d'Edo en 1847

Paravent de Kyosai Kiyomitsu : le château d'Edo en 1847

Estampe de l'ère Meiji (1868-1912)
Estampe

Deux estampes de l'ère Meiji (1868-1912)

[1] L’historien Jinnai Hidenobu 陣内 秀信 a montré combien Edo subsiste sous Tokyo (Tôkyô no kûkan jinruigaku [Anthropologie spatiale de Tôkyô], Chikuma shobô, 1992).

Le Monde Illustré, 20 février 1869. Source : Wikipedia

Le Monde Illustré, 20 février 1869. Source : Wikipedia

Maglev Source : gizmag.com

Maglev Source : gizmag.com

Plan du métro de Tokyo
Réseau ferré de l'aire métropolitaine de Tokyo

Deux estampes de l'ère Métro

[2] Un écrivain l’a bien compris :

Jacques Roubaud dans Tokyo infra-ordinaire, Inventaire/Invention, 2003.

[3] Selon l’excellente formule de Natacha Aveline :

« Regards croisés sur les formes de la ville japonaise », in Daruma, n° 3, Ed. Picquier, 1998.

[4Saskia SassenLa Ville globale. New York, Londres, Tokyo, Descartes, 1996.

[5] Par ses capacités d’adaptation : cf. Ashihara Yoshinobu, L'Ordre caché. Tokyo, la ville du XXIe siècle ?, Hazan, 1994.

[6Livio SacchiTokyo : architecture et urbanisme, Flammarion, 2005.

[7Abe KôbôLe plan déchiqueté (1967), trad. de l’anglais par J-G. Chauffeteau, Stock, 1988, p. 9.

 Michaël FERRIER    

 

Le Goût de Tokyo, « Introduction », 

©2008 by Michaël Ferrier/Ed. Mercure de France

Historique de l'expansion du métro (1927-2008). Source : 氷鷺, Hisagi, Wikimedia

Historique de l'expansion du métro (1927-2008). Source : 氷鷺, Hisagi, Wikimedia

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