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CÉLINE-PEREC

セリーヌ           ・          ペレック

(1936-1982)     (1894-1961)

 

 

CÉLINE-PEREC : LE MATCH DU SIÈCLE

Poids lourd contre poids léger

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Céline et son chien à Meudon vers 1955 Photo ©Roger-Viollet/Belga

Céline et son chien à Meudon vers 1955

Photo ©Roger-Viollet/Belga

Perec et son chat Délo Photo ©A. De Brunhoff

Perec et son chat Délo

Photo ©A. De Brunhoff

« L’œil du comparatiste est primesautier, qualité dont on fera son premier défaut. Peu importe : son regard doit être vif et surtout amusé. »

 

Marcel Detienne,

Comparer l’incomparable

En hommage à mon ami

Jean-Louis Houdebine,

mort le 29 novembre 2015 à Paris.

       On n’a pas l’habitude de comparer Céline et Perec : il faut dire que rarement deux écrivains auront paru, a priori, plus éloignés que ces deux-là. En dehors d’une coïncidence éditoriale très circonstancielle (ils ont tous deux reçu le prix Renaudot pour leur premier roman), tout paraît en effet les séparer, et cette maigre rencontre de hasard se trouve elle-même aussitôt démentie par la lecture des titres : le Voyage au bout de la nuit, dans sa résonance nocturne et jusqu’au-boutiste, n’a semble-t-il rien à voir avec la banalité du titre de Perec, Les Choses, sans même parler du sous-titre, Une histoire des années 60, placé là comme pour en accentuer le caractère commun, voire anecdotique. Le titre du premier roman de Céline ouvre d’emblée à une dimension étrange et démesurée ; le titre du premier roman de Perec, bref et énigmatique, se double aussitôt d’un sous-titre bien tranquille, didactique, explicite, modeste et rassurant. Céline entre en littérature par le biais d’une aventure singulière, celle de Bardamu, qui plonge dans le vacarme d’une des plus grandes catastrophes du XXe siècle, la Première Guerre mondiale, Perec par une histoire (presque) comme toutes les autres, celle de Jérôme et Sylvie, qui s’ennuient dans la langueur des années 60. Plus que d’un contraste, il faudrait je crois parler d’un éloignement, qui place les deux œuvres dans deux univers complètement différents.

       On n’en finirait d’ailleurs plus d’énumérer ces différences, sous la forme par exemple d’un tableau à double entrée : Céline, l’écrivain de l’excès et du délire, chroniqueur des catastrophes, Perec, l’écrivain oulipien et calculateur, méticuleux artisan de la contrainte – écrire tout un roman sans la lettre e, La disparition, ou un livre à contraintes multiples, La vie mode d’emploi, où la narration emprunte à la fois aux mathématiques et au jeu de go [1]  – Perec peintre appliqué de « l’infra-ordinaire », des « Je me souviens »  de la vie quotidienne. Céline, écrivain nerveux et rapide, léger à tous les sens du terme, et parfois jusqu’à l’inconséquence – versant notamment dans l’antisémitisme le plus abject. Perec, tempéré jusque dans ses envolées, gardant longtemps le silence sur ce traumatisme fondateur – un père tué le 16 juin 1940, alors qu’il défendait l’Yonne contre les Allemands, une mère déportée à Drancy pour finir assassinée à Auschwitz. Sans que ce bref inventaire soit le moins du monde exhaustif, il indique bien tout ce qui peut disjoindre les deux écrivains, aussi bien dans leurs vies personnelles que dans leurs œuvres, leurs thèmes de prédilection, leurs manières d’écrire.

 

       De cette distance, la postérité même semble avoir pris bonne note, et l’on pourrait facilement montrer que la réception critique des deux œuvres est, aujourd’hui encore, conforme à cette ligne de partage. Les problèmes que, malgré une reconnaissance inévitable, rencontre encore Céline de nos jours, ne sont pas en effet sans faire écho à la louange presque unanime qui entoure désormais l’œuvre de Perec. Céline fantôme  continue de hanter notre histoire littéraire, tandis que Perec posthume connaît aujourd’hui une gloire aussi soudaine que déployée, qui gagne maintenant jusqu’aux États-Unis, au Maroc, au Japon. Un détail est révélateur, le fameux pochoir de la rue Girardon qui ne cesse d’être effacé et de reparaître obstinément, reconnaissance clandestine et presque inavouable, que l’on pourrait mettre en regard avec cet astéroïde découvert le 17 octobre 1982, au Lowell Observatory de Flagstaff (USA), et qui porte désormais en guise d’hommage le nom de « Perec ». Céline planète maudite, soleil noir, vindicatif et hurleur, sujet aux éclipses, Perec astre mutin et lutin, qui brille aujourd’hui au firmament de notre littérature. Ou, pour reprendre la métaphore de la boxe (dont je tâcherai de montrer tout à l’heure qu’elle n’a pas seulement dans mon esprit une valeur ornementale), Céline-Mohamed Ali ou Céline-Tyson, très grands boxeurs mais toujours en proie à la vindicte publique – admirations forcenées, haines tenaces – et Georges Perec-Foreman ou Sugar Perec Robinson, champions qui agglutinent autour de leur nom un assentiment à peu près général.

 

       Cette frontière paraît donc si tranchée que l’on peut se demander quelle mouche a bien pu me piquer de venir la troubler, en accolant dès mon titre et dans mon propos le nom de nos deux champions. Je pourrais tout d’abord évoquer, tout simplement, le fait que j’aime ces deux auteurs et qu’on m’en a parfois fait grief, comme si défendre l’un et l’autre ne pouvait aller de soi. Je pourrais également indiquer la volonté de montrer qu’il y a toujours une autre manière de penser/classer, que nous sommes pris dans une certaine intelligibilité a priori du monde (habitudes de rangement, réflexes de lecture) lorsque nous opposons Perec et Céline : c’est cette évidence circulaire que je voudrais ici mettre en question. Mais la raison principale pour laquelle je prends le risque de déranger ainsi le cercle bien tranquille des nomenclatures établies, c’est la conviction que, même si comparaison n’est pas raison, cette lecture réciproque de l’un et l’autre, pour difficile ou incongrue qu’elle puisse paraître au premier abord, ne manquera pas de nous en apprendre à la fois sur Céline et sur Perec – et, finalement, sur ce que nous appelons la « littérature ».

1. Écrire contre Céline

Céline sur le  canapé
Perec sur le divan

« Littérature – art de lutte et de râles. »

Michel Leiris

       Pour tout combat, il faut un coup de gong. Celui-ci résonne dans une lettre du jeune Perec, en 1958, où il évoque pour la première fois à ma connaissance le nom de Céline. Est-ce un hasard si Perec se trouve alors dans une enclave militaire (il accomplit son service militaire à Pau, au 18e Régiment de Chasseurs Parachutistes) ? Et si cette mention surgit dans une lettre adressée à un ami, Jacques Lederer ? Non, le contexte militaire, l’amitié et même le genre épistolaire ont ici leur importance, je tâcherai de le montrer tout à l’heure. Mais commençons par examiner cette référence : elle est fort explicite, et se place dès le début sous le sceau de l’affrontement [2] :

 

« Plus fort que Céline »

 

       C’est en effet ainsi que le parachutiste Perec imagine le bandeau publicitaire de son premier livre : il a 22 ans, et comme tout jeune homme piqué par l’écriture, il imagine la gloire que pourrait prendre sa gloire future et, dans une lettre à son confident, trouve cette formule en guise de manchette. Manchette éloquente, premier direct, droit au menton de Céline.

       Au delà de la boutade du conscrit, il est tentant de voir quels échos a pu avoir cette déclaration flamboyante dans un des textes de la maturité, La vie mode d’emploi, dont l’incipit se construit très explicitement, même si cela n’a encore jamais été remarqué, en opposition avec celui de Voyage au bout de la nuit [3]. On essaiera ainsi de cerner de quelle manière l’œuvre célinienne a pu influencer a contrario l’œuvre perecquienne, dans une protestation implicite qui en dit long sur la place incontournable de Céline dans l’histoire littéraire du XXe siècle. Comment écrire après Céline ? Mais aussi comment écrire contre Céline, que ce soit le génial styliste ou le pamphlétaire virulent ? Quelques années après sa mort, Perec apporte une réponse singulière à ces questions qui n’ont cessé de hanter la plupart des écrivains d’après Voyage, sur une ligne qu’on pourrait tracer depuis le Jean-Paul Sartre de La Nausée – dont l’épigraphe est, on le sait, empruntée à Céline – jusqu’au Philippe Sollers de Femmes, avec ses trois points parodiques et sa posture volontiers provocatrice. Du match Perec-Céline on pourrait dire qu’il est, dans une certaine mesure, le match du siècle : sans prétendre enfermer toute la perspective littéraire de notre époque dans une confrontation binaire, il est frappant de constater à quel point cette opposition, dont nous allons maintenant tâcher de préciser les aspects les plus saillants, résume à elle seule une bonne partie des enjeux d’écriture de notre temps.

         Écrire contre Céline donc. Mais Perec, quand il s’en prend à Céline, le fait en écrivain, et non en moralisateur : il s’attaque en effet à son écriture même. Au moment où il se rêve « plus fort que Céline », il est d’abord intéressant de remarquer que Perec est engagé dans la rédaction d’un roman qui restera inachevé, et qui est significativement intitulé La Nuit. Ce titre, il fait avant tout référence, selon les indications de Perec lui-même, à Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand : mais comment ne pas y lire également, en filigrane, une réponse au titre de Céline ? La Nuit en effet, ce n’est pas le bout de la nuit. Aller plus loin que Céline donc, frapper plus fort, mais par une malice toute perecquienne, non dans le sens d’une accentuation, mais danc celui d’un retrait, d’une réserve. Pourtant, Perec abandonne son projet, le combat est ajourné pour cette fois : La Nuit ne verra jamais le jour – et cet échec, autant qu’aux problèmes qui peuvent se poser à tout jeune écrivain, est sans doute imputable à la difficulte même du projet perecquien, rien de moins que sortir la littérature du « bout » où l’a conduit Céline.

Céline en uniforme de la mission Rockefeller, 1918 (Crédit : Wikimedia commons/Domaine public)

Céline en uniforme de la mission Rockefeller, 1918

(Crédit : Wikimedia commons/Domaine public)

Perec dans la maison de campagne de la famille Bienenfeld, à Biévy (Eure-et-Loir), 1955. Photo ©Frédéric Hanoteau. Ed. Gallimard

Perec dans la maison de campagne de la famille Bienenfeld, à Biévy (Eure-et-Loir), 1955.

Photo ©Frédéric Hanoteau. Ed. Gallimard

         L’ombre de Céline va pourtant reparaître, bien des années plus tard, dans l’incipit de La vie mode d’emploi. Le nom de Céline ne figure certes pas dans la liste des auteurs que Perec prend soin de citer à la fin de son roman (mais ce n’est pas le seul et cette liste est à bien des égards un leurre). Pourtant, c’est bien lui que le début du livre  évoque pour le congédier, dans un rapprochement d’autant plus éloquent qu’il porte sur le tout début du roman, dans une sorte de contestation intense et silencieuse. L’incipit est, on le sait, un endroit stratégique : phénomène augural et inaugural à la fois, il fonde la lecture que l’on va faire du texte. Si cela se confirme, La vie mode d’emploi est aussi une réponse, d’autant plus ferme qu’elle est souterraine, à l’écrivain du Voyage au bout de la nuit.

         « Ça a débuté comme ça. » La fameuse petite phrase qui ouvre le Voyage au bout de la Nuit est brève, catégorique, décisive. La vie mode d’emploi  en propose, près d’un demi-siècle plus tard, une réécriture tout à fait ironique. « Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça… » nous suggère le narrateur perecquien, comme si, à l’assurance célinienne, il substituait une modération de bon aloi. Le ton se radoucit, le « ça » oral et insistant cède la place à un « cela » plus lisse et plus lissé, plus policé. Quant au «  comme ça » de Céline, Perec le glose sous trois formes différentes (« ainsi, ici, comme ça… »), comme pour inscrire dans cette première phrase l’exigence de « pluralisation » qui commande au livre tout entier : un « Romans », au pluriel, dit le sous-titre. De même, on notera la réécriture du verbe « débuter » : on peut aussi écrire « commencer » semble nous dire Perec, grand amateur de synonymies et de mots croisés. La marque la plus éclatante de ce jeu feutré auquel il se livre ici est bien sûr l’adjonction de ce « pourrait » : à la formule très sûre, très impérative, de Céline, à ce passé composé qui installe le récit dans une clôture indiscutable, Perec répond avec un conditionnel de modalisation qui ouvre à toutes les interprétations possibles. Le sens de toutes ces menues modifications est clair, c’est une leçon de bon sens, et d’humilité : oui, cela pourrait (re)commencer ainsi, nous dit Perec, ici ou bien ailleurs, comme ça ou autrement : voyez, il y a bien d’autres manières d’écrire, monsieur Céline.

Céline au tribunal de Paris, le 13 octobre 1951 ©Getty / Keystone/Hulton Archive
Perec en 1969​

Céline au tribunal de Paris, le 13 octobre 1951

©Getty / Keystone/Hulton Archive

Perec en 1969

         À l’excitation et à la verve du Voyage répondent donc un ton nettement plus posé, et ce que l’on pourrait définir comme un changement de vitesse du récit. La suite de l’incipit nous le confirme : cette fois-ci, c’est le début de Mort à crédit qui est visé, comme si Perec avait envisagé de réécrire les œuvres complètes de Céline… « d’une manière un peu lourde et lente » fait en effet clairement référence au début du deuxième roman célinien : « Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste… » écrivait alors le narrateur pour fustiger la lourdeur des hommes, dans une position moraliste qu’il affectionnera jusqu’à la fin [4]. Perec quant à lui, revendique explicitement cette « lourdeur », en accepte le risque, et même s’en fait une force, une grandeur, une stabilité. Car cette lourdeur est présentée comme la première des vertus du texte, inséparable du projet perecquien d’explication et de dévoilement du monde. C’est le but avoué de Perec que de nous expliquer le monde, de nous en révéler le fonctionnement réel ou supposé, comme le montrent les formules causales ou consécutives qui reviennent à intervalles réguliers (« Car (…) Et c’est à cause de cela… »). Perec explique, Perec brosse et dépeint, il propose une analyse, discrète mais sensible, de type sociologique, qui porte sur la vie dans les grands immeubles, à mille lieues des vindicatives tirades de Céline. Un peu lourde certes, et la lourdeur est présente également dans le lexique : détail révélateur, l’ascenseur de l’immeuble est « presque toujours en panne », comme pour inscrire dans cette pesante machinerie l’impossibilité de s’élever au-dessus du plancher des vaches… Prendrait-on l’escalier, le mouvement ascendant ne porte que vers une dégradation de plus en plus nette, le lourd tapis s’effilochant au fur et à mesure « selon les conventions de la respectabilité bourgeoise ». On le voit, la charge de Perec contre les maux de la vie moderne n’est pas moins efficace que celle de Céline : elle porte seulement sur d’autres motifs et emprunte d’autres voies.

 

         Un peu lourd donc, et un peu lent aussi : ce rythme de lecture, il est d’abord imposé par la longueur des phrases, avec leur virgules en abondance, leurs tirets et leurs incises qui viennent se relayer de phrase en phrase, sur un modèle proustien : « le voyageur qui revient d’un long voyage », autant que « le médecin appelé en urgence » que l’on croise tous deux dans l’escalier de La vie mode d’emploi , ne sont pas en effet sans évoquer, dans une figure double et inversée, l’incipit de Du côté de chez Swann avec son « voyageur » qui « se hâte vers la station prochaine » et ce médecin qu’on attend mais qui ne viendra pas. Que l’on prenne ainsi appui sur Proust pour écrire contre Céline, le choix est judicieux [5].

 

       Cette lourdeur de Perec, elle est sensible également dans les répétitions qui émaillent le texte, « d’étage en étage, et d’immeuble, et de rue en rue » : celles-ci sont d’autant plus spectaculaires qu’elles affectent souvent des déictiques (« ces bribes, ces débris, ces esquisses »), et qu’elles sont quelquefois insérées à l’intérieur de structures syntaxiques identiques (« tout ce qui passe passe par l’escalier », « tout ce qui arrive arrive par l’escalier »), ce qui contribue à la mise en place d’un appareil démonstratif qui ne craint pas la lourdeur mais en fait même sa condition de possibilité, comme si tous ces moyens stylistiques étaient autant de vérins pour permettre au texte de s’élever progressivement vers une puissance littéraire peu commune. Ce qui se donne à lire dans ces quelques lignes, c’est la mise en place lente, sûre et admirable des conditions et des circonstances du récit, l’émergence progressive d’un cadre et d’une assurance : « Oui, ça commencera ici : entre le troisième et le quatrième étage, 11 rue Simon-Crubellier ». En l’espace d’un paragraphe, en ce début de La vie mode d’emploi, et c’est pourquoi sans doute ce texte est si émouvant, nous venons d’assister à une prise de parole qui n’avait rien d’évident, une mise en confiance par les mots, un apprivoisement et le déploiement de l’éventail des possibles, ainsi, ici, comme ça : l’affirmation d’une vie et d’une voix par le travail de l’écriture.

Perec lit
Céline lit

         On aura beau jeu de comparer cette lenteur et cette lourdeur, dont j’espère avoir montré qu’elles ne sont pas péjoratives mais constitutives de l’écriture perecquienne, de son ample et modeste majesté, avec la légèreté qui caractérise le style de Céline. Si Perec construit patiemment son immeuble, pierre après pierre, comme un monument, Céline travaille plutôt comme un entrepreneur de démolitions, pour reprendre le titre d’un livre de Léon Bloy, dont il fut un lecteur assidû vers la fin de sa vie. Au programme immobilier Perec s’oppose en effet le branle-bas de combat célinien, cette jubilation dans l’instable et le rééquilibrage permanent dont on trouve peut-être l’image la plus frappante dans l’ « aérien entresol » du docteur Pretorius à Baden-Baden, qui exerce sur le narrateur une révélation significative :

 

«  un étage, une maison en face, comme suspendu entre les colonnes de l’immeuble… en hamac… les étages au-dessus et dessous existent plus… soufflés !… en plus cet étage fait vitrine… vitrine de fleuriste… fleuriste, magazin suspendu… roses, hortensias, clématites… suspendu entre les colonnes en hamac…plus rien n’existe de cette maison que cet aérien entresol… » (Nord, p. 350)

 

         C’est que le style de Céline partage avec les bombes cet idéal de déflagration et d’allègement : de la lourde pierre et de la brique épaisse faire une dentelle fleurie, fragile, suspendue, loin des ambitions marmoréennes par lesquelles se définit si souvent une certaine littérature. C’est pourquoi l’écriture célinienne se veut expéditive et preste – le style de l’assassin pourrait-on dire en reprenant un parallèle que lui-même esquisse dans D’un château l’autre, en comparant son style au « sytème Restif », du nom de ce meurtrier qui tranchait au rasoir les deux carotides de ses victimes en un éclair de geste, « impeccable » (p. 266). Dans La vie mode d’emploi au contraire, c’est le style de la vengeance, qui comme chacun sait, est un plat qui se mange froid, après une longue et lente préparation… Perec y relate, rappelons-le, la « longue vengeance » de Gaspard Winkler, « si patiemment, si minutieusement ourdie », et qui « n’a pas encore fini de s’assouvir », vengeance qui s’exerce contre le partisan d’une « solution » finale (chimique) dans laquelle viendraient s’anéantir en un instant toutes les œuvres de l’artisan Winckler.

         Styliste assassin, maître de l’exécution dévastatrice, contre écrivain vengeur, méthodique et sûr de lui : ces métaphores, nées des textes eux-mêmes, trouvent dans un comptage statistique une nette confirmation. Un rapide parallèle chiffré est en effet éloquent : le premier paragraphe de Voyage au bout de la nuit compte 28 phrases, dont la plupart très courtes, voire monosyllabiques ; le premier paragraphe de La vie mode d'emploi n’en compte que 9, soit 1/3 de moins, mais dont la plus courte monte déjà à près de 20 syllabes ! De cette comparaison et de ces quelques chiffres, et pour reprendre la comparaison sportive avec laquelle j’ouvrais cet exposé, on pourrait dire que Céline a du punch – cette grâce du boxeur – mais que Perec, lui, a de l’allonge, et que face à la charge de cavalerie légère du narrateur célinien, l’artillerie lourde du perecquien tient fort bien la distance ou, pour employer une expression plus juste, qu’elle fait largement le poids. C’est un superbe match, vous dis-je.

2. D'une épigraphe l'autre

Perec au Moulin d'Andé
Céline à Meudon

         Au-delà de cette analyse stylistique, il est intéressant de s’interroger sur les deux conceptions très différentes de la littérature que mettent en jeu ces deux pratiques d’écriture. Pour cela, il nous faut maintenant remonter jusqu’aux épigraphes que Perec dispose avec un soin si retors que le savant jeu de miroirs qu’il met en place avec l’œuvre de Céline n’a, une fois encore, jamais été remarqué jusqu’à présent. Outre les allusions de l’incipit, les citations préliminaires de La vie mode d’emploi instaurent en effet un subtil chassé-croisé avec les toutes premières pages de Voyage au bout de la nuit.

 

         Car c’est bien d’un entrecroisement qu’il s’agit ou, pour employer un terme qui suggère toute l’habileté rhétorique de Perec, d’un chiasme, où l'épigraphe de Perec renvoie implicitement à celle de Céline et où, en miroir et par un vertigineux jeu d'échos croisés, le début du préambule de Perec fait également allusion à la fin de celui de Céline. Jugez plutôt, en gardant ces quatre textes en mémoire :

Épigraphe de Céline (Voyage au bout de la nuit, 1932)                                  

Notre vie est un voyage

Dans l’Hiver et dans la Nuit

Nous cherchons notre passage

Dans le Ciel où rien ne luit

(Chanson des Gardes suisses1793)

Épigraphe de Perec (La Vie mode d'emploi, 1978)   

Regarde de tous tes yeux, regarde

(Jules Verne, Michel Strogoff)

Préambule de Céline (fin)

Et puis d’abord, tout le monde peut en faire autant.

Il suffit de fermer les yeux.

C’est de l’autre côté de la vie.

 

Préambule de Perec (début)

L’œil suit les chemins qui lui ont été ménagés

dans l’œuvre.

(Paul Klee, Pädagogisches Skizzenbuch)

       La citation qui ouvre le préambule de Perec fait en effet écho à la célèbre « Chanson des Gardes suisses », tandis que, comme par hasard, l’exergue de La vie mode d’emploi emprunté à Jules Verne semble faire répons aux lignes bien connues qui closent le court texte introductif que Céline a placé en 1932 en préambule de son premier roman. Ce tournoi ou ce tournoiement citationnel est, avouons-le, impressionnant : car si les citations de Perec recoupent bien entendu d’autres connotations propres à son univers particulier (réflexion sur la notion de représentation, ombre discrète de la mère qui plane sur Michel Strogoff…), on ne peut s’empêcher de penser en considérant ces étonnantes coïncidences avec l’intertexte célinien que Perec nous propose ici une image inversée du projet esthétique de Céline. 

       Prenons par exemple les figures du voyageur ou du passant que ces textes nous proposent : celles-ci correspondent, on le sait, au motif traditionnel du lecteur dans les incipits du roman français. Elles représentent souvent le « passeur » entre l’univers du lecteur et celui de la fiction, selon la convention littéraire qui « consiste à mettre en scène dans le texte le lecteur et le processus de la lecture [6] », et dont l’un des exemples les plus illustres est le début du Rouge et le Noir. Perec et Céline reprennent, chacun à leur façon et tous deux de manière détournée, ce topos du voyageur. Mais quelle différence entre l’extrait des Esquisses pédagogiques de Klee, qui nous livre une conception didactique de la lecture, souple et ferme à la fois et la Chanson initiale de Voyage, où le lecteur se trouve embarqué dans un voyage sans repère et sans boussole [7] ! 

 

       Chez Céline, le lecteur est plongé dans un voyage aveugle et fulgurant, découvrant dès l'épigraphe toute la noirceur de cet univers, où l'auteur ne prétend en rien lui délivrer quelque lumière. Chez Perec au contraire, le lecteur est invité avec bienveillance à chercher son chemin - on pourrait presque dire : son salut - dans une œuvre qui, pour être elle aussi labyrinthique, n'en offre pas moins à son lecteur quelques pistes éclairantes. Aux "chemins qui ne mènent nulle part" de Céline (Heidegger par anticipation), Perec oppose des "esquisses pédagogiques" (Klee) : dans cette vie d'errance et de perdition dont Céline mieux qu'aucun autre au XXe siècle a su dire à la fois l'horreur, le comique et la cruauté, l'enfant de la rue Vilin garde - ou redonne - à la littérature une ligne générale moins sombre et moins désespérante que celle de l'ermite de Meudon et lui restitue une fonction autre qu'un simple compte-rendu des désastres magnifique et terrifiant : celle d'un guide, d'un viatique et, serait-ce sous une forme légèrement teintée d'ironie, d'un « mode d'emploi »

       Enfin, la dernière citation de Perec nous en dit davantage encore sur le retournement opéré et, par contrecoup, sur la force du modèle célinien qu’il lui a fallu défaire. La citation de Michel Strogoff ne renvoie pas seulement en effet à Jules Verne ou, par la bande verlainienne, à l’enfant perdu de Sagesse [8], Gaspard Hauser, dont Perec gardera le prénom pour son héros : elle prend également le contrepied des conseils que le narrateur célinien prodiguait à son lecteur de sa voix goguenarde. Là où Céline recommandait de « fermer les yeux », Perec conseille de les ouvrir bien grand ; et hormis la condamnation morale que recèlent peut-être ces quelques lignes (car l’on sait à quel point l’homme Céline a pu fermer les yeux sur certains aspects de son époque…), c’est aussi d’une rupture esthétique dont Perec se fait ici le héraut, comme nous allons le voir maintenant.

3. Deux conceptions divergentes

de la littérature

Céline
Perec

       Ainsi s’ordonne et se déploie toute une série de contrastes portant sur les ressorts principaux de ces deux poétiques, que faute de temps j’indiquerai ici rapidement :

       1) La littérature est pour Céline une incroyable exploration de l’invisible, le délire seul permet d’y accéder ; elle est, pour Perec, une immense entreprise de connaissance du visible : archives, classements, catalogues, listes et répertoires ne suffiront pas à l’épuiser.

 

       2) Il s’agit pour Céline de sortir du Temps, avec pour cela un instrument privilégié : la transposition. Il s’agit pour Perec de classer le Temps, le quadriller, le spatialiser, avec un autre instrument dont il réinvente vertigineusement les possibilités : la description.

 

       3) Toutes ces différences de manière sont des différences de méthode, qui correspondent très exactement à des postures divergentes face à ce que nous nommons d’un seul et unique mot : la littérature. Elles sont décisives et traversent la plupart des problèmes théoriques et pratiques qui se sont posés à nos deux écrivains. Un seul exemple (mais essentiel) : l’autobiographie. Pour Céline, il y a une présence immédiate à soi-même, spontanée et naturelle, que l’écriture a pour fonction de retrouver en se débarrassant des figures de rhétorique. Écrire est une remontée de la convention vers le fonds biologique (l’équivalent, pour la langue, de naître pour la vie). Asyndètes, ruptures de liaison, et jusqu’à la rupture des codes de l’écrit, tout lui est bon : pour retrouver dans les mots le chant d’une âme, le langage doit tendre vers la musique. Pour Perec au contraire, l’autobiographie passe par un jeu de fonctions et de figures qui lui permettent de reconstituer patiemment le puzzle de sa propre histoire. Il s’agira alors de privilégier les conjonctions et les juxtapositions, le réseau arachnéen des translations délicates, et du langage démultiplier les possibilités des mécanismes rhétoriques.

       Enfin, cette opposition terme à terme culmine bien entendu dans le but même que les deux écrivains donnent à l’acte d’écrire. Il saute aux yeux que l’incipit de Voyage au bout de la nuit est tout entier écrit dans un mouvement d’éloignement de la place publique, du café, de l’agora, comme si la parole n’était jamais chez Céline que le prélude à la boucherie, et le dialogue une version alternative de la bataille. Or, si l’on retrouve chez Perec une certaine distance vis-à-vis du langage commun (les guillemets dévastateurs accolés aux « parties communes » de l’immeuble, qui montrent que ces parties n’ont de commun que le nom), l’ensemble de l’entreprise perecquienne peut être décrite comme la tentative de restitution d’un lieu commun : il s’agit pour lui de reconstruire patiemment une espèce d’espace, un lieu et un lien, de rappeler à chacun le caractère collectif de cette propriété – et, implicitement, sa responsabilité dans la gestion de l’ensemble. D’un appartement l’autre, rassembler méticuleusement les « pièces » (et c’est là que le jeu de mots entre les pièces du puzzle et celles de l'appartement prend tout son sens), montrer l’endroit où elles se recoupent et s’emboîtent, où elles pourraient se jointoyer : un immense chantier, où se conjuguent pour ainsi dire la redécouverte de la mitoyenneté et les vertus de la citoyenneté.

 

         Tout se passe donc comme si, après le désastre des deux guerres dont Céline, plus qu’aucun autre peut-être, aura été l’écrivain, Perec n’avait plus qu’à recoller les morceaux, face à cette « terrible insuffisance de toutes les assurances du savoir, de croyance et de pensée » qui inaugurent selon Jean-Luc Nancy la conscience contemporaine [9]. La littérature apparaît alors comme une forme conciliatrice, médiatrice de la culture occidentale, dotée d’un pouvoir civilisateur et humanisant, sur le modèle aimable de la société littéraire, au sein d’une société des hommes qui se présenterait elle-même, au moins idéalement, comme « un public pacifié d’amis de la lecture [10] ». Cette très ancienne conception, ainsi remise à l’honneur avec des moyens stytistiques renouvelés, constitue la réponse de Perec à Céline, lui qui ne veut, lorsqu’il sort son stylo comme on dégaine une arme blanche, que « dire toute sa haine » : c’est, on s’en souvient, la fracassante invective du narrateur de Mort à crédit (p. 512), pour qui raconter des histoires revient presque toujours à régler ses comptes : « J’en raconterai de telles qu’ils reviendront, exprès, pour me tuer, des quatre coins du monde. »

Un extrait des Beaux draps  de Céline paru dans Le Magazine en 1941 Source : Ligue de défense juive

Un extrait des Beaux draps  de Céline paru dans Le Magazine en 1941

Source : Ligue de défense juive

Perec, Lieux communs travaillés,  chez l'auteur, 1971.

Perec, Lieux communs travaillés,  chez l'auteur, 1971.

In-12, agrafé, imprimé sur du papier Ingres rose, couverture illustrée.

Edition originale tirée à 150 exemplaires tous hors commerce,

ronéotypés, numérotés et signés par l'auteur,

publié pour les voeux pour la nouvelle année. Très rare.

Source : Artcurial

3. Conclusion

Perec à la bibliothèque
Céline à la bibliothèque (1932)

       Hugo voulait être « Chateaubriand ou rien ». Perec, j’espère l’avoir montré, préfère « tout plutôt que Céline ».

    Mais d’où vient alors ce sentiment paradoxal de quelque chose de commun ? Énigmatique lieu de la lecture. Cette distinction, cette hétérogénéité que nous venons de mettre en lumière, n’est-elle pas aussi une indissociabilité ? N’a-t-on pas affaire ici à deux aspects de la même puissance ? Deux manières de faire exister la littérature : l’intensité et l’utilité, le cognitif et l’émotif. Car ces deux rapports à l’expérience, quelque inconciliables qu’ils apparaissent, se partagent en chacun de nous, profondément. Et qui ne voit que ces deux dimensions se mêlent aussi, chez Perec comme chez Céline ? Et que toutes deux disposent d’un pouvoir égal, sinon constant, de révélation ? Il est donc hors de propos de se mêler au chœur des gens qui prétendent aujourd’hui faire de l’art un nouveau champ de bataille. Ceux-là sont les nouveaux Verdurin, dont Proust a montré l’inanité mais dont il avait aussi prédit, hélas, la pérennité. Dans le clan Verdurin, souvenez-vous, on prise fort Wagner contre Chopin, puis Debussy contre Wagner. Il faut, pour y être inclus, dire que le nouveau pianiste « enfonce » l’ancien, que tel écrivain surpasse irrémédiablement tel autre, qu’on est du bon côté, celui des belles âmes et des consciences bien tranquilles. Pour Michaux et pour Perec, contre Céline ou contre Claudel ? Querelles de snobs.

 

       Mais si cette comparaison a un mérite, outre celui de mettre en lumière l’extraordinaire intelligence critique du jeune Perec, sa claire vision des enjeux historiques et esthétiques de l’après-guerre, c’est aussi de mesurer la singularité de Céline, son génie de l’antagonisme qui lui donnent une place à part dans la littérature, qu’on ne retrouve peut-être à un tel degré à cette époque que chez le chansonnier Aristide Bruant. On songe aussi, dans un domaine très différent, mais dans un registre très voisin, et pour nous ramener une dernière fois à la boxe, à la déclaration de Mohamed Ali, juste avant son championnat du monde contre Foreman, lors d’une conférence de presse au Waldorf Astoria, à New York, en septembre 1974 :

 

« Je finirai comme j’ai débuté : en terrassant un monstre que personne n’arrivait à battre. (…) J’ai roulé maintenant. Je suis pro. J’ai eu la mâchoire explosée deux fois. Je suis méchant. J’abats des arbres et ici, en plus, je me suis battu contre un alligator. Oui, un alligator. J’ai catché avec une baleine, mis des menottes aux éclairs, foutu la foudre en taule. La semaine dernière, j’ai tué un roc, massacré une pierre et expédié une brique à l’hosto. Je suis pire qu’un mal incurable ! »

 

       Les écrivains, comme les boxeurs, s’appuient les uns contre les autres. Qu’ils utilisent l’attaque ou bien l’esquive, la voix de la sagesse ou celle de l’invective, c’est pour répondre à la violence du monde, même s’ils peuvent aussi s’y laisser piéger - ce fut indubitablement le cas pour Céline. Médecin ? Mal incurable ? Boxeur ou écrivain ? Lourd ? Léger ? Au bout du compte, impondérable : « dont l’action, quoique déterminante, ne peut être exactement appréciée, ni prévue. » Céline, Perec : les impondérables de la création.

 Michaël FERRIER    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

©2019 by Michaël Ferrier

Première publication dans

Pesanteur et féerie, actes du Colloque international de Prague (juillet 2000), Paris,

Éd. Société d'Études Céliniennes, p. 139-155.

texte revu et complété, Tokyo Time Table 2023

Références électroniques :

http://www.tokyo-time-table.com/celine-perec

Frazier-Ali
Georges Perec au sommet du World Trade Center, New York Photo ©Babette Mangolte

Georges Perec au sommet du World Trade Center, New York

Photo ©Babette Mangolte

Céline chez lui à Meudon

Céline chez lui à Meudon

NOTES

 

[1] Sur les rapports de La vie mode d’emploi avec le go, je me permets de renvoyer au chapitre 2 de mon livre Japon : la Barrière des Rencontres : « Japon, mode d'emploi : Perec et le Japon », Nantes, éditions Cécile Défaut, 2009, p. 49-94.

[2] Correspondance Perec-Lederer, 14/03/1958, p. 139. Voir bibliographie.

[3] Cette communication était déjà en grande partie rédigée lorsque l’écrivain Marcel Bénabou, ami d’enfance de Perec que j’interrogeais sur la familiarité que pouvait avoir celui-ci de l’œuvre de Céline, m’informa que Bernard Magné, l’un des meilleurs lecteurs de Perec, avait lui aussi récemment repéré cette allusion (Georges Perec, voir bibliographie, p. 58). Mais B. Magné ne la commente pas, et ne remarque pas les échos entre les deux épigraphes que j’étudie ici.

[4] « Ils étaient lourds », c’est le dernier mot (télévisé) de Céline, Entretien avec A. Zbinden (1957), Paris, Gallimard, Pléiade, t.2, p. 944.

[5] Du côté de chez Swann, Paris, Gallimard, Pléiade, 1987, p. 4. Perec était familier de ces pages, qu’il reprend dans Un homme qui dort et dans Espèces d’espaces. Pour la comparaison Proust-Céline, voir Jean-Louis Cornille, La haine des Lettres, Céline et Proust, Arles, Actes sud, 1996, et mon texte « "À côté de la plaque" : Comment les romanciers écrivent l'Histoire - une comparaison Proust-Céline», Comment la fiction fait histoire : emprunts, échanges, croisements, textes réunis par Noriko Taguchi, Paris, Éd. Honoré Champion, p. 211-223.

[6] Cf. l’excellent article de Jean-Louis Morhange, « Incipits narratifs », Poétique n°104, nov. 1995, Paris, Seuil, p. 387-410.

[7] Ce côté didactique est encore renforcé par l’appareil extra-textuel, le « Préambule », la subdivision-gigogne, – « Première partie », « chapitre I », « Dans l’escalier, 1 » – tous ces repères échelonnés qui permettent au lecteur de pénétrer progressivement dans le texte, au fil d’une accoutumance. Rien de cela chez Céline où le préambule, s’il existe, est réduit à quelques phrases d’« échauffement », et où la titrologie interne est éliminée : nous voici lancés in medias res, dans le cœur brûlant du sujet.

[8] « Je suis venu, calme orphelin/Riche de mes seuls yeux tranquilles… », livre III, chap. IV.

[9] Cf. la revue Lignes, n°1, « Sartre-Bataille », mars 2000.

[10] Cf. les analyses percutantes de Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain. On comprend alors plus précisément la force de la formule de Perec, « Plus fort que Céline », énoncée sous forme de lettre dans un contexte militaire. La forme épistolaire est en effet la plus ancienne des manifestations de cette conception humaniste et amicale de la littérature. Pour voir tout ce qui sépare Céline de celle-ci, il n’est que de relire la parodie de la lettre de Montaigne dans Voyage au bout de la nuit.

BIBLIOGRAPHIE

I) LOUIS-FERDINAND CÉLINE

 

       Voyage au bout de la nuit (1932) et Mort à crédit  (1936), dans Romans, Tome I, sous la direction d'Henri Godard, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1988. 

       D’un château l’autre  (1957), Nord (1960) et Rigodon  (1969), dans Romans, Tome II, sous la direction d'Henri Godard, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1986.

       Travaux critiques :

       Jean-Louis CORNILLE, La haine des Lettres, Céline et Proust, Arles, Actes sud, 1996.

       Michaël FERRIER, « "À côté de la plaque" : Comment les romanciers écrivent l'Histoire - une comparaison Proust-Céline », Comment la fiction fait histoire : emprunts, échanges, croisements, textes réunis par Noriko Taguchi, Paris, Éd. Honoré Champion, p. 211-223.

 

II) GEORGES PEREC

 

       La Nuit, successivement rebaptisé Gaspard et Gaspard pas mort, a été refusé par le Seuil et par Gallimard, puis égaré lors d'un déménagement en 1966. Le biographe de Perec, David Bellos, en ayant retrouvé en 1992 une copie, il fut finalement publié trente ans après la mort de Perec sous le titre Le Condottière (Seuil, La Librairie du XXIe siècle, 2012).

 

         Les Choses (Julliard, 1965), Un homme qui dort (Denoël, 1967), La Disparition (Denoël, 1969), Espèces d’espaces (Galilée, 1974), dans Œuvres, Tome I, sous la direction de Christelle Reggiani, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2017.

       La vie mode d’emploi (Hachette, 1978), dans ŒuvresTome II, sous la direction de Christelle Reggiani, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2017.

 

       Je me souviens, Hachette, 1978.

       Penser/Classer, Hachette, 1985.

       L’infra-ordinaire, Seuil, 1989. 

 

       Correspondance : « Cher, très cher, admirable et charmant ami… », Correspondance Georges Perec & Jacques Lederer (1959-1961), Flammarion, 1997.

       Travaux critiques : deux excellentes présentations, Claude BURGELIN, Georges Perec, Seuil, 1988, et Bernard MAGNÉ, Georges Perec, Nathan, 1999.

 

III) AUTRES

       Marcel DETIENNE, Comparer l’incomparable, Seuil, 2000.

     Peter SLOTERDIJK, Règles pour le parc humain, trad. de l’allemand par O. Mannoni, Mille et une nuits, 1999.

Comment la fiction fait histoire
Perec, Le Condottière
Georges Perec, de Claude Burgelin
Sloterdijk, Règles pour le parc humain

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DOSSIER CÉLINE
que vous pouvez consulter en cliquant ici :


 

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DOSSIER PEREC
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